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Margarita VRETTOU-SOULI
, H Milopetra tis Milou. Apo tin exorixi stin emporiki a diakinisi (La meule de Milos, de l'extraction jusqu'au commerce). Athènes, 2002, 152 p.

Milos, une île des Cyclades en Grèce, a une histoire minéralogique très longue et intéressante qui a débuté avec l'époque préhistorique et s'est poursuivie jusqu'à nos jours. L'extraction de l'obsidienne a fait de Milos un centre commercial au sein de la mer Égée dès l'époque néolithique, tandis que les industries minérales constituent encore de nos jours l'une des principales activités économiques de l'île.
Les meule de Milos ont été autrefois très célèbres et furent utilisées dans la Mer Égée et autour du bassin méditerranéen en général. Ces meules étaient si fameuses que certains chercheurs ont considéré que le nom de Milos venait de leur extraction. Elles sont façonnées dans de la trachéite, une roche aux pores assez grands (0,5-1 cm.), qui convient à la mouture surtout de l'orge - on parlait d'ailleurs de « la meule de l'orge ».
Il existait divers genres de meules : le  « crassato » (au vin), qui était cher et dur, idéal pour la mouture du ma?s ; le « tyflo » (aveugle), qui était très dur et que l'on gravait de rayons, comme sur les meules françaises ; enfin le « routhounato » (aux narines), le genre le plus connu, destiné à la mouture de l'orge.
La plupart des gisements livrant ces roches meulières se trouvent au lieu-dit Rema, une plage située à l'est de l'île de Milos, où la carrière produisit des meules à partir du Moyen Âge et jusqu'à la moitie du 20e siècle. L'activité y a été intense et une grande partie de la population y a travaillé ; c'est pourquoi il est possible qu'à l'époque byzantine la capitale de Milos ait été transférée de Klima à Zephyria, un terroir proche de la carrière. En certaines périodes des populations entières ont immigré pour travailler à la carrière de Rema. Nombre d'entre eux sont venus de Tsakonia (montagnes d'Arcadie, Péloponnèse), comme en témoignent encore des noms et surnoms provenant de cette région. Parallèlement, tout au long de l'occupation Turque, des extractions eurent lieu à Kimolos, une île voisine de Milos, notamment dans les meulières de Mprovarma (L'Observatoire) et de Stis Chiromili (Aux Moulins à main), et aussi sur la petite île inhabitable de Polyaigos. Les roches étaient pourtant de moindre qualité que celles de Milos et se vendaient par conséquent moins cher, mais leur extraction était aussi plus facile de même que leur chargement sur les bateaux.
La carrière de Rema est située à proximité immédiate de la mer mais cette plage est soumise à des vents impétueux. Par conséquent, les bateaux avaient de grandes difficultés à accoster et lorsqu'ils le pouvaient, ne restaient que pour très peu de temps. Les ouvriers devaient faire vite pour charger les grandes meules sur le bateau, en utilisant un gros tissu dont ils recouvraient leurs épaules, pour éviter les blessures éventuelles. Le travail était pénible et dangereux, même s'il rapportait de confortables profits. Des mesures de protection ont bien été prises mais sur la fin de l'activité, au 20e siècle. On mit alors des piliers de soutènement pour renforcer le tunnel et on installa des ventilateurs ; une voie ferrée à écartement réduit et des wagonnets furent aussi introduits pour le transport des minerais.
Il existait quatre catégories différentes d'ouvriers et d'artisans. Les « ministres » ou « tireurs », qui tiraient les meules en dehors du tunnel ; les « maçons » ou « tailleurs », qui élaboraient les meules sur place ; les ouvriers non qualifies et enfin le surveillant. Au début, l'élaboration des meules avait lieu sur place. Les pierres les plus grandes, qu'on appelait les « taillées », étaient assemblées par 5 ou 6 pour faire une grande meule de moulin ; les morceaux de plus petite taille - et de meilleur marché - étaient appelés « Karikou ». Les carreaux étaient désignés du terme de « Poleos » (de la cité (=Constantinople), parce qu'on les vendait à Constantinople ; enfin les « mastorou » (de maçon), étaient vendus à vil prix. Au début des années 1950, le type '2A' est apparu : une idée dont l'inspiration est due au dernier maçon-tailleur de la carrière. Ce type était plus grand et plus cher que les précédents car il n'employait que 2 ou 3 quartiers pour construire une meule de moulin. L'artisan recevait un prix plus élevé pour ce genre de produit. Quand on trouvait des roches suffisantes pour des moulins à main, on les taillait et on les destinait surtout comme cadeaux. Encore aujourd'hui, certaines maisons de Milos en conservent voire en utilisent toujours.
Les salaires des ouvriers étaient en général satisfaisants, bien plus supérieurs en tout cas - presque le double - que les salaires habituels et c'est pourquoi les habitants de l'île préférait ce type de travail malgré les mauvaises conditions sanitaires et le danger. Les accidents n'étaient pas rares. La tradition orale parle d'un accident qui a causé la mort de quarante ouvriers venus de Tsakonia, dans le Péloponnèse. Les ouvriers travaillaient en général durant cinq jours par semaine et logeaient sur place, puisque la distance de leurs villages était grande et qu'ils devaient aller à pieds au chantier. A leur retour, ils travaillaient ensemble dans leurs champs. Les rythmes de travail étaient donc assez en avance pour l'époque - cinq jours de travail au lieu de six - et la solidarité mutuelle développée. D'ailleurs une association ouvrière vit le jour sur l'île dès les années 1930.
Le commerce des meules de Milos atteignait une ampleur considérable. On envoyait des pierres dans toute la Grèce et aussi à l'étranger : à Constantinople, en Égypte, en Italie (Naples, Trieste), en Serbie, etc. En 1851, la meule de Milos fut présentée à l'exposition internationale de Londres. En 1905, 10.477 quartiers et carreaux de meules étaient encore vendus, pour un total de 29.000 drachmes. La meule de Milos était pourtant moins dure que la meule française, et on devait la repiquer souvent, presque tous les trente jours. Les meuniers gravaient les rayons très proches les uns des autres - tous les 0,5 cm - et les creusaient sur 1 à 1,5 mm de profondeur. Tout un ensemble de légendes et de proverbes évoquent ces meules, le fonctionnement du moulin en général et le travail du meunier, ce qui dit bien l'importance que représentait la meule dans la société traditionnelle.
En 1956 l'extraction des meules cessa définitivement à Rema. La technologie contemporaine a fait de la meule un outil superflu. Les vestiges de la carrière témoignent de la gloire du passé et sont un symbole fort de sa longue histoire et de son importance dans l'histoire de Milos.


Pour contacter l'auteur : margarita_vrettou@yahoo.com
 



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